J’accuse (9/12) : le « Project for a New American Century » (PNAC)

Voici le 8ème article de ma série « J’accuse ». Une nouvelle section commence. Il s’agit à présent d’examiner le 11 septembre 2001 « à l’épreuve de l’histoire ». Je commence par une analyse du rapport du PNAC rendu public deux ans avant les attentats.

Nota Bene : Donald Forestier est un auteur fictif inventé pour imiter le style des apôtres de la version officielle des attentats du 11 septembre 2011 dans les grands médias.

Le 11 septembre à l’épreuve de l’histoire

Après avoir démontré que le 11 septembre ne tenait pas un instant à l’épreuve des faits (chapitres 1 à 3), et que les fers de lances de la pandémie conspirationniste étaient beaucoup moins effilés et solides qu’ils paraissaient (chapitre 4 à 6), me reste à envisager un dernier aspect de cette incroyable polémique. Que se passe-t-il quand on essaye de placer les attentats du 11 septembre 2001 dans un contexte historique ? Que se passe-t-il quand on tente de confronter le 11 septembre « à l’épreuve de l’histoire » ? Les rédacteurs du rapport de la commission d’enquête affirment que ces attentats furent une surprise totale pour tout le monde. Certains truthers particulièrement déterminés prétendent au contraire qu’ils s’intègrent parfaitement dans un plan prévu longtemps à l’avance. Avant et après les attentats, il serait possible d’isoler d’autres événements qui compléteraient avec le 11 septembre une ligne parfaite, attirant de facto les soupçons que les attentats soient le fruit d’un « travail maison », selon l’expression consacrée par les truthers. C’est là la dernière épine que je veux enlever du pied de l’administration Bush, qui de nouveau sur ce point a été choisie comme bouc émissaire.

Dans ce premier chapitre, je me penche sur le rapport intitulé « Reconstruire les Défenses de l’Amérique », et rendu public en 1999 par le think tank néoconservateur Project for a New American Century (PNAC). Ce rapport comporterait une phrase étrangement prophétique des attentats, comme si ses rédacteurs avaient anticipé ou souhaité qu’un tel événement survînt. La liste des signataires serait révélatrice. Plus généralement, dans ce rapport serait consigné, noir sur blanc, le plus effrayant des projets militaires élaborés depuis la Seconde Guerre Mondiale.

Je ne m’aventure pas dans le détail des deux chapitres suivants. Que le lecteur sache seulement qu’ensuite je m’intéresserai à la guerre de libération de l’Irak, et aux attentats de Madrid et de Londres, de 2003 et de 2004.

Le rapport du PNAC : « Reconstruire les défenses de l’Amérique »

Comme dans les chapitres 1 et 3, je vais me servir dans ce chapitre d’un rapport pour tuteur. Après le rapport de la commission d’enquête de 2004, et le rapport du NIST de 2008, je vais m’intéresser de près au rapport du PNAC intitulé « Reconstruire les défenses de l’Amérique ». On ne peut pas dire que ce rapport soit inconnu. Une seule de ces phrase a été à l’origine de la constitution d’un gigantesque Talmud de la part des truthers. Je ne sache pas toutefois que beaucoup de gens se soient intéressés à l’ensemble du rapport. Je me flatte dans le présent chapitre de proposer au lecteur un parcours inédit et extrêmement instructif de celui-ci.

Fidèle à mon credo, je veux enraciner mes analyses et interprétations sur des faits. A ces conditions seulement on peut fonder son raisonnement sur une base solide et indiscutable. Comme d’habitude, en m’élançant du même point de départ, j’arrive à une conclusion fort différente, tout l’inverse, à vrai dire, de celle à laquelle ont abouti les truthers.

Contrairement aux rapports du NIST et de la commission d’enquête, pour lesquelles je n’ai trouvé aucune traduction, je m’appuierai ici sur une traduction de l’association reopen911. Bien que je doute de l’intégrité des membres de cette association, je leur accorde ma confiance pour des tâches mécaniques de ce type.

Je ne veux pas donner d’autres informations liminaires sur les objectifs, l’histoire, la composition, de ce think tank qu’est le PNAC, et des conditions dans lesquelles a été écrit le rapport qui fait le cœur de ce chapitre. Le lecteur découvrira toutes les informations utiles au fur et à mesure.

Je traiterai cette question du PNAC et de son rapport en plusieurs entrées de chapitre de longueurs inégales. J’insisterai au besoin, tantôt sur le texte du rapport, tantôt sur les suspicions des truthers, tantôt enfin sur les contre-arguments qu’on peut leur opposer.

La phrase « prophétique » sur Pearl Harbor

Rendons nous tout de suite, pour commencer, à la page 52 du rapport où se trouve la fameuse phrase qui a mis le feu aux poudres ; elle intervient dans la section V intitulée « Créer la force dominante de demain » : “une stratégie d’adaptation qui viserait la capacité de projection de l’armée depuis les seuls États-Unis, par exemple, et ferait l’impasse sur l’établissement de bases avancées et la présence militaire à l’étranger, serait en désaccord avec les buts plus larges de la politique américaine ; elle jetterait le trouble chez nos alliés. En outre, le processus de reconversion, même s’il introduit un changement radical, sera vraisemblablement long, à moins d’un événement catastrophique jouant le rôle de catalyseur – comme un nouveau Pearl Harbor.”

J’ai passé beaucoup de temps à me concentrer sur la substance intime du rapport avant d’arriver à cette phrase. Au moins m’attendais-je à un développement subséquent de ce que les truthers brandissent comme une preuve accablante. Las, les rédacteurs du rapport reviennent sans transition à leur fil directeur dominant, dont les lignes de force sont lumineusement apparentes. Même remarque pour ce qui le passage qui l’amène C’est vraiment une ironie que, enquêtant sur la boule de gui que les druides du conspirationnisme contrefont pour les besoins de leur potion magique je sois finalement parvenu à comprendre que les motivations des gens aux pouvoirs aux États-Unis, s’inscrivaient dans un projet beaucoup plus global, dans lequel les attentats du 11 septembre ne pouvaient figurer, au mieux comme un incident mineur, au pire, comme un fâcheux contretemps.

Le rapport du PNAC : un équivalent étasunien du « livre blanc »

Le rapport du PNAC est un petit bijou de cours de géopolitique dont je recommande la lecture avec chaleur. Ce n’est certes pas un chef-d’œuvre de même facture que le rapport de la commission d’enquête (chapitre 1), ou du NIST (chapitre 3). Ses auteurs, tout pénétrants visionnaires qu’ils soient, manquent de toute évidence d’un peu d’imagination. Les amateurs de littérature, qui auront été séduits par le caractère romanesque de ces deux rapports, jugeront le terrain sur lequel ont manœuvré les auteurs du rapport du PNAC un peu aride et monotone à leur goût. Des faits, des raisonnements, des chiffres, mais d’images, de métaphores, point.

C’est en effet un texte à connotation militaire par excellence. C’est, si l’on excepte l’échelle à laquelle ses auteurs se projettent, l’équivalent du livre blanc de la défense et de la sécurité nationale rendu public en 2008 par des spécialistes français en matière de défense. J’entre d’emblée dans cette comparaison rassurante pour ramener le rapport du PNAC au niveau qui doit être le sien : un simple rapport de défense comme tous les pays qui ont des dépenses militaires en font chaque décennie pour répartir au mieux les énormes crédits qui leur sont alloués. Nul ne s’étonne qu’un pays comme la France, dont le budget militaire s’élève à 54 milliards d’euros par an, se fende d’un livre blanc ; quoi d’anormal en conséquence à ce qu’un pays comme les États-Unis, dont le budget est de 580 milliards de dollars par an, ce qui représente 40% des dépenses militaires mondiales, fasse œuvre comparable ?

Comme mesures phares, le livre blanc ne prône pas grand chose hormis le maintien de la force de dissuasion nucléaire, gage le plus sûr de notre indépendance, et l’accroissement des crédits accordés au renseignement depuis l’espace par le biais des satellites espions. Le reste a trait à la réorganisation des bases, la modernisation de quelques avions et bateaux, etc… rien que de très routinier, finalement… Cette modestie du livre blanc est particulièrement criante quand on lit dans la foulée le rapport du PNAC. Marines, Navy, Air Force, nucléaire, drones, satellites espions, système antimissile, bases militaires, etc, c’est pour la totalité des composantes de l’armée que les auteurs du rapport recommandent une hausse des crédits militaires, en plus d’une réorganisation et d’un redéploiement des forces, à une échelle et une ampleur jamais vues depuis la seconde guerre mondiale.

Raisons d’être et objectifs du rapport du PNAC 

La vocation du PNAC est exprimée dans les premières pages du fameux rapport :

“Ce rapport procède de la conviction que l’Amérique doit chercher à préserver et renforcer sa situation de domination mondiale en maintenant la prééminence des forces armées des États-Unis. Les États-Unis jouissent aujourd’hui d’une situation stratégique favorable sans précédent dans l’histoire. Ils n’ont à faire face à aucun défi de grande puissance, ils ont le soutien d’alliés riches, puissants et démocratiques sur tous les continents, ils connaissent la plus longue période d’expansion économique de leur histoire et leurs principes politiques et économiques ont été presque universellement adoptés. Jamais au cours de l’Histoire l’ordre sécuritaire international n’a été aussi favorable aux intérêts et aux idéaux américains.(p 4)”

Tel sont l’état d’esprit et les desseins des membres du PNAC. Plus particulièrement, le PNAC s’est distingué, de sa création en 1996 à sa dissolution en 2006, par ses appels incessants à déclencher une seconde guerre en Irak pour chasser Saddam Husseïn du pouvoir et entraîner un changement de régime dans ce pays, les États-Unis contribuant ainsi à “l’extension des zones de paix démocratiques”(p 2) sur la planète. Le 26 janvier 98, Robert Kagan et William Kristol, ses deux présidents, avaient envoyé une lettre au président Clinton enjoignant ce dernier de régler son compte à Saddam Husseïn une bonne fois pour toutes. 9 jours après les attentats, sans même évoquer l’Afghanistan, ils récidivent en demandant à nouveau un changement de régime en Irak.

Le statut particulier de l’Irak 

Les références à l’Irak dans le rapport sont extrêmement nombreuses. Avec les piques contre l’administration Clinton, ce sont les passages qui donnent son rythme à l’ensemble du rapport.

L’Irak est fréquemment évoqué en compagnie d’autres pays : l’Iran et la Corée du nord dans la plupart des cas : il est dit par exemple que “l’Irak et la Corée du nord se hâtent de mettre au point des missiles balistiques et des armes nucléaires pour dissuader l’Amérique d’intervenir dans les régions dont ils veulent s’emparer.”(page 4) ou encore que « dans l’ère de l’après Guerre Froide, l’Amérique et ses alliés sont devenus les premiers outils de dissuasion, à la place de l’URSS, et ce sont des pays comme l’Irak, l’Iran, et la Corée du Nord, qui souhaitent le plus se doter de moyens de dissuasion »(p 55), ou encore que “(les États-Unis) ne (peuvent) pas laisser la Corée du Nord, l’Iran, l’Irak ou d’autres États du même acabit saper la domination américaine, intimider les alliés des États-Unis, ou menacer le sol même des États-Unis.”(p 75).

Il est frappant que ce soient précisément l’Iran, l’Irak et la Corée du nord, qui sont ainsi évoqués dans ce rapport. Le lecteur qui suit l’actualité un tant soit peu aura reconnu dans cette liste les pays qui seront désignés par la suite comme les membres clés de l’axe du mal dénoncés par George W.Bush. Plutôt que d’y voir une coïncidence suspecte, qu’il me suffise de rappeler que ces trois pays abritaient les plus ignobles dictateurs du monde au moment de la rédaction du rapport.

Il est incontestable que l’Irak a un statut particulier dans ce rapport. Il est très souvent évoqué seul, dans des phrases qui n’augurent rien de bon pour ce pays : “Le défi permanent de l’Irak fait qu’il ne serait pas sage de réduire de façon importante la présence militaire dans le Golfe.” (p 15) ou encore, l’Irak fait partie de ces états qui, “cherchant à établir des hégémonies régionales continuent à sonder les limites du périmètre de sécurité américain.” (p 6)

Saddam Husseïn est le seul chef d’état, avec Kim Jong Il, a avoir le privilège d’être nommé dans le rapport à plusieurs reprises :

“Bien que les opérations d’interdiction de survol du nord et du sud de l’Irak se déroulent sans interruption depuis presque une décennie, elles restent un élément essentiel de la stratégie et de la posture militaire des États-Unis dans la région du golfe Persique. Mettre fin à ces opérations reviendrait à offrir à Saddam Hussein une grande victoire, ce à quoi répugnerait tout dirigeant américain.”(p 15).

”L’analyse des théâtres de guerres que présente l’étude quadriennale de défense conclut que Kim Jong Il et Saddam Husseïn sont tous les deux susceptibles de se lancer dans la guerre – peut-être avec emploi d’armes chimiques ou biologiques, voire d’armes nucléaires – et les États-Unis n’ont entrepris aucun effort pour déposer ces dirigeants manu militari.”(p 10)

Une telle insistance sur l’Irak prouve de façon éclatante que s’il y avait un lien à chercher entre le rapport du PNAC et des opérations menées par les Etasuniens pendant les neuf dernières années, c’est du côté de la guerre en Irak, bien plus que de celui de la guerre en Afghanistan, qu’il faudrait creuser. Si les autorités étasuniennes sont des menteuses, pourquoi se sont elles embêtées à envahir un pays entier avant de s’intéresser au cas irakien ? Leurs « objectifs à long terme » les poussaient à attaquer l’Irak immédiatement, ils étaient prêts à le faire, et s’apprêtaient à le faire, mais c’est l’Afghanistan qui a été attaqué en premier, et cela…. pour la simple raison que c’était dans ce pays, et non en Irak, que se cachaient les bases d’entraînement des terroristes qui avaient monté les attentats du 11 septembre 2001.

Une décennie perdue en matière de défense

Le gâchis qu’ont représenté les huit ans de présidence du démocrate Bill Clinton constitue le leitmotiv du rapport. Les occurrences sont innombrables et occupent, sans exagérer, 10% de l’ensemble. Les auteurs reprochent à Clinton, pendant ses huit années de présidence, d’avoir constamment diminué le budget des programmes de maintenance : “l’armée est en conséquence, mal entraînée, sous équipée, et en sous effectif” (p I) ? Terrible abandon qui “a terni (l)’image de marque (de l’armée)”(p III).

Clinton a négligé l’entretien et l’adaptation de l’arsenal nucléaire (p 9). Il a négligé de développer les systèmes d’armes pour intercepter les missiles balistiques, suprême et lancinant danger pour les rédacteurs du rapport du PNAC (p 9). Aucun des corps d’armée n’a été épargné : qu’il s’agisse de l’armée de terre (p 29), de mer (p 38), ou de l’air (p 42). Le tout nouveau secteur spatial a fait l’objet d’une semblable négligence (p 57) Les dépenses de Recherche et développement ont été dramatiquement réduites dans tous les domaines (p 51).

Par instants on sent une colère extrêmement vive affleurer sous la plume des auteurs :

« Au cours de la décennie écoulée, l’état des forces armées a décliné inexorablement. Non seulement on a dramatiquement réduit leur budget, tranché dans leurs infrastructures, sabré dans les effectifs, étouffé les programmes de modernisation et étranglé les efforts d’adaptation, mais encore la qualité de vie des militaires, essentielle en matière de recrutement pour une force de volontaires, s’est dégradée. Des casernements aux quartiers généraux et aux zones techniques, les armées ont vu négliger leurs infrastructures. La qualité des hébergements, en particulier outre-mer, ne convient pas à une grande nation.”(p 19)

La conclusion de tous ces manquements est évidente et sans appel : “les années 90 ont été été une décennie de négligence en matière de défense.”(p 4)

Certains membres du rapport faisaient partie des administrations Reagan et Bush père ; parmi eux : Dick Cheney, dont les auteurs admettent dans la préface que les Conseils en matière de Politique de Défense (CPD) dont il est l’auteur, sorte de livre blanc de 1992, à l’époque où il était secrétaire d’état à la défense, est tout simplement le prototype mort-né après l’élection de Clinton du rapport du PNAC (p II). Les trois mandats républicains 1981 à 1993 (mandats de Ronald Reagan et de George H. Bush), furent l’occasion d’un important effort de rebudgétisation et de réorganisation des armées. L’élection de Clinton brisa d’un coup l’élan de cette reprise pour huit longues années pendant lesquelles ces patriotes virent leurs desseins extrêmement retardés.

 Les listes des signataires du rapport du PNAC

Ayant nommé quelques membres du PNAC, je me vois amené à évoquer un peu dans le détail la composition de ce think tank, laquelle soulève comme d’habitude des doutes profonds dans l’esprit de nos amis truthers. N’est-ce pas des plus hautement suspect, ricanent-ils, que près des trois quarts des rédacteurs du rapport, aient par la suite accédé à de hautes responsabilités dans le gouvernement Bush, et que plusieurs d’entre eux aient exercé d’importantes fonctions dans les administrations Reagan et Bush ? Tout aussi suspecte serait encore selon eux, l’appel lancé à Clinton en 1998, puisque parmi ses 18 signataires se trouvaient des gens comme Richard Perle, futur président de la commission de la politique de défense, Richard Lee Armitage, futur assistant au secrétaire d’état des Etats-Unis, Donald Rumsfeld, futur secrétaire d’état à la défense, et Paul Wolfovitz futur secrétaire d’état adjoint à la défense. Plus généralement le rapport du PNAC ne serait pas seulement important pour les propositions qui y sont avancées, mais aussi en raison de l’identité de ses signataires.

On connaît deux versions du rapport : si le corps du texte en est presque identique, la liste des signataires varie énormément de l’une à l’autre (voir pages 78 à 80 du rapport). Ainsi apparaissent dans la version la plus ancienne les noms de Dick Cheney, futur vice président, John Ashcroft, futur secrétaire d’état à la justice, Donald Kagan, Jeb Bush, frère du président et gouverneur de Floride, Lewis Libby, futur directeur de cabinet de Dick Cheney, Steve Forbes, le fameux milliardaire, Francis Fukuyama, l’auteur de la fin de l’histoire et le dernier homme. Je n’omets bien sûr pas de cette liste les quatre hauts fonctionnaires évoqués au paragraphe précédent. Ces noms, avec d’autres peu connus du public français, ne sont pas apparents dans la seconde version, celle qui a été rendue publique.

Cette seconde liste a été exhumée par l’association reopen911. Le lecteur trouvera peut être curieux que je me fie à une information que je n’ai pas retrouvée ailleurs, mais c’est que je tiens là une occasion unique de montrer combien, en partant du même fait, on peut élaborer les interprétations les plus diverses. Il est évident pour moi que ce rapport du PNAC est le manifeste politique de l’équipe qui s’est retrouvée deux ans plus tard au pouvoir.

Je ne peux manquer cette occasion qui m’est donnée de rendre hommage en passant aux auteurs de ce rapport. Si cette première version n’avait pas « fuité », c’est sur les mauvaises têtes que j’aurais posé les couronnes de lauriers que méritent ceux qui ont participé à ce bel ouvrage. C’est, j’imagine, la modestie, qui les a poussés à ne pas vouloir apparaître dans la liste finale des signataires. Comme le rappelle Montaigne, toutefois, « de dire moins de soi qu’il n’y en n’a, c’est sottise, non modestie. Se payer de moins qu’on ne vaut, c’est lâcheté et pusillanimité (Essais, II, 6). » Aussi ai-je décidé de mettre les rédacteurs apparents dans la première liste, pour que le lecteur attentif accorde, ou décuple, l’estime profonde qu’il ressent, je l’espère, pour ces individus.

Le composition des participants au rapport, loin de devoir inquiéter, est un excellent indice de l’esprit de prévoyance de l’administration Bush. Ce sont des gens qui savaient exactement ce qu’ils voulaient faire en arrivant au pouvoir, et qui se sont préparés en conséquence[1]. Ils auraient pu improviser à la va-vite, mais ont eu le professionnalisme, auparavant, de mettre par écrit leur projet militaire. Lorsque Bush accéda à la Maison Blanche, il n’eut pas à attendre une semaine pour que le rapport lui parvienne sur le bureau ovale, complet, peaufiné, et prêt à l’emploi. Quand on sait l’opportunisme et l’impréparation de certains hommes politiques assoiffés de pouvoir, qui se font élire en mentant au peuple, je crois que nous pouvons sur ce point rendre hommage à la démocratie américaine.

 Un rapport impérialiste ?

“Mais c’est un détail ! Arguent les truthers. C’est la nature du projet qui rend le rapport effrayant. Nous avons là un projet impérialiste écrit noir sur blanc, exactement comme Hitler avait exprimé noir sur blanc dans Mein Kampf ses intentions belliqueuses.”

Les auteurs du PNAC, il est vrai, ont du mal à voiler un franc enthousiasme quand ils évoquent les forces armées de leur pays :

“ Les États-Unis sont la seule superpuissance au monde, combinant une puissance militaire prééminente, une primauté technique à l’échelle mondiale et l’économie la plus puissante au monde. De plus, l’Amérique est à la tête d’un système d’alliances qui regroupe les autres puissances démocratiques dirigeantes de la planète. À l’heure actuelle, les États-Unis n’ont aucun rival.” (p I).

Une telle situation est “sans précédent dans l’histoire” (p IV). Si l’on entre dans le détail, l’armée de l’air peut se vanter à juste titre de pouvoir intervenir partout sur la planète, quand elle le veut (p 30), de même que la Marine qui jouit “de la suprématie absolue en haute mer, domination qui dépasse celle même de la Marine britannique au XIXème siècle”(p 39). Au cours de la plus grande partie du siècle écoulé, “les États-Unis ont entretenu le plus grand corps de fusiliers marins de tous les pays”, lesquels, grâce à l’appui de la marine et de sa propre aviation, disposent d’une “extraordinaire mobilité et d’une extraordinaire puissance de combat.”(p 47).

L’armée est présentée à plusieurs reprises comme l’auxiliaire incontournable du projet de Pax Americana. “ S’il faut conserver et étendre une paix américaine, elle doit s’appuyer sur les fondations indiscutables d’une prééminence militaire des États-Unis.” (p 5). “ La prééminence militaire américaine (…) est le corollaire de la stratégie de domination mondiale des États-Unis” (p 52).

Voilà donc pour les indices du soi disant “projet hitlérien”. Si je m’arrêtais là ce serait parfait, les soupçons seraient justifiés, mais je dois dire “soi disant”, car les truthers, qui ont décidément l’attention très sélective, omettent de citer les arguments de bon sens que les auteurs du rapport eux-mêmes avancent pour expliquer leur focalisation sur le militaire. Ils avancent ainsi que si les peuples de la terre viennent de traverser la plus longue période de paix de leur histoire, c’est uniquement à cause du rôle de gendarme mondial que les États-Unis ont eu la bonté d’assumer pendant six longues décennies :

“Étant donné que la paix actuelle n’est le résultat que de la prééminence américaine, échouer à conserver cette prééminence laisserait à d’autres la possibilité de façonner le monde selon des schémas contraires aux intérêts et aux principes des États-Unis. C’est cela, le prix de la prééminence américaine ; de même qu’elle a été gagnée de haute lutte, il faut la préserver de haute lutte.”(p 80)

Nous avons tendance à oublier que nous avons complètement sous traité notre défense à notre grand frère étasunien, et que sans lui, comme jadis en 44, nous nous trouverions perdus. Il n’ y a guère que la France et l’Angleterre qui entretiennent encore des budgets militaires dignes de ce nom. Tous les autres pays ont progressivement réduit leurs dépenses militaires au cours des décennies passées, et ce qu’on appelle aujourd’hui Défense Européenne est quelque chose de proprement ridicule en comparaison de la Défense Étasunienne. Cette disproportion justifie les banderilles de Robert Kagan, aux sujets des Européens, lorsqu’il dit, par exemple, que “les Américains viennent de Mars et les Européens viennent de Vénus”, ou que les Européens sont des “born again idealists[2].

Pendant 40 ans nous avons bénéficié du parapluie américain contre le menaçant nuage soviétique. C’est bien joli de critiquer l’armée américaine, mais j’aimerais aussi que l’on reconnaisse que si aux États-Unis des gens se sont fendus d’un rapport comme celui du PNAC, c’est en grande partie parce qu’en Europe nous avons depuis longtemps renoncé à peu près à tout effort militaire sérieux, et que nous nous sommes placés sous l’aile de l’Aigle étasunien. C’est facile de critiquer ceux qui font le sale boulot tout en en profitant à l’œil. En Europe nous avons cessé de nettoyer les toilettes parce que l’Oncle Sam a décidé de s’en occuper, et il y en a qui croient que si elles restent propres, c’est parce que ça se fait tout seul ! Nous ferions mieux de produire un effort militaire comparable et d’être un peu plus unis plutôt que de critiquer le goût des Étasuniens pour la chose militaire.

Cette protection n’a pas valu que pour l’ensemble de la guerre froide. Très récemment, en 1999, nous fûmes bien contents que les USA franchissent un océan pour intervenir en ex-Yougoslavie, alors que nous peinions à franchir la petite mer Adriatique pour régler le problème nous-mêmes…. ce que les auteurs du rapport rappellent à regret : “ le conflit des Balkans n’aurait pratiquement pas pu être conduit et gagné sans le rôle dominant qu’y a joué la puissance militaire américaine.”(p 9) Nous ferions mieux de leur dire “merci” plutôt que de cracher dans la soupe de façon aussi irréfléchie et présomptueuse.

Il semble heureusement que les auteurs du PNAC, loin de nous considérer pour des supplétifs, des faire valoir, des alibis, ont pour nous une forme d’estime et d’affection, et tiennent à nous associer à leurs aventures. Les “Alliés”, dont nous avons l’honneur de faire partie, sont fréquemment cités dans le rapport, toujours avec l’idée de protection, d’association, de coopération : cet altruisme désintéressé apparaît dans ces sortes de phrases “ les forces armées des États-Unis doivent rester déployées en quantité à l’étranger. Pour rester à la tête d’un éventail de coalitions, les États-Unis doivent prendre leur part des risques auxquels leurs alliés font face”. On peut être sûr que s’il y a un problème, les États-Unis seront à nos côtés.

 Interlude : éloge de l’administration W. Bush

Je ne pense pas que ce soit de la flagornerie de laisser éclater un peu trop mon admiration dans ce chapitre. Le rapport du PNAC montre, si besoin était, que nous devons beaucoup aux États-Unis pour notre défense du demi siècle écoulé, et, selon tous les pronostics, celle du siècle à venir, le “Nouveau Siècle Américain”, et je suis bien content que la présidence de George W. Bush ait été l’occasion de la réalisation intégrale du programme suggéré dans ce rapport.

Reconnaissons que nous n’avons plus les moyens pour rivaliser avec leur puissance de feu. Cela fait forcément un peu bizarre pour les quelques patriotes français, anglais, et allemands, qui demeurent, mais à tout prendre, je crois qu’il est moins coûteux et plus sûr pour les pays européens que nous nous cantonnions au rôle de reconnaissants vassaux plutôt qu’à celui d’aigris et inefficaces trouble-fêtes, comme nous l’avons si souvent été pendant la présidence du général de Gaule ou de Jaques Chirac.

Pour tout dire, je ne suis pas si choqué que ça par la tonalité ultra-martiale du rapport : tous les empires qui se sont succédé sur la terre n’ont pas hésité un instant à user de la force pour asseoir leur hégémonie au moment de leur âge d’or. Dans la foulée de la Révolution Française, Napoléon a mis l’Europe entière à feu et à sang. Il ne laisse pas d’être estimé, par les Plutarques de notre époque, comme l’un des plus grands hommes de tous les temps, aux côtés de bienfaiteurs de l’humanité comme Descartes, l’Abbé Pierre, et Louis Pasteur.

Il me semble un peu facile de s’offrir son petit frisson patriotique en lisant une hagiographie de Napoléon bien calé dans son fauteuil, et refuser dans le même temps aux Étasuniens de profiter, avec des moyens incomparables, d’un âge d’or comme aucun peuple n’en a connu dans l’histoire de l’humanité.

Nous n’avons pas hésité à nous étendre et à conquérir quand nous en avions les moyens, et maintenant nous refuserions ce droit à d’autres sous prétexte que ce n’est pas nous qui à présent prétendons tenir la barre ! Comme le dit justement Robert Kagan, “ quand les États-Unis étaient faibles, ils pratiquaient des stratégies hésitantes, maintenant qu’ils sont puissants, ils se comportent comme se comportent les nations puissantes. » Dieu nous garde, en Europe, de devenir ces vieillards qui, dans la maxime de la Rochefoucault, “donnent de bons conseils pour se consoler de n’être plus en état de donner de mauvais exemples (Maxime 93).”

 Conclusion

Il m’est impossible de terminer ce chapitre sans toucher de nouveau un mot à propos de cette fameuse citation sur Pearl Harbor, dans laquelle se trouverait selon les truthers une allusion directe aux attentats du 11 septembre, lesquels attentats auraient été organisés par l’administration Bush, et donc par les membres du PNAC. Le lecteur aura constaté que je m’y suis peu appesanti : cette citation, je me répète, est complètement isolée, et sans lien avec le corps du texte ; sur près de cent pages c’est dérisoirement mince… tandis que pour chacun des autres points que j’ai évoqués je disposais d’une base de travail d’une dizaine de citations minimum.

En fait, les truthers, défaut humain trop humain, ont lu ce rapport avec l’idée préconçue d’y trouver les preuves dont ils avaient besoin. Sur un sentier de cent pages, il était fatal qu’ils tombassent sur un caillou intéressant. Résultat, ils agitent ridiculement dix pauvres lignes de ce rapport en les érigeant en preuve suffisante.

Je suis à présent si loin de craindre la moindre objection que ces âmes perdues pourraient formuler, que je vous livre pour finir une citation que celles-ci aiment à invoquer en complément de celle du rapport du PNAC. Elle est signée d’un personnage que le lecteur a appris à connaître et apprécier dans la section précédente, le seul personnage, pour tout dire, que j’ai été surpris de ne pas voir apparaître, avec le président Bush, dans la liste des signataires du rapport : Philip Zelikow.

“ Si la bombe qui a explosé en 93 sous le WTC avait été nucléaire… l’horreur et le chaos résultants auraient été proprement indescriptibles. Un tel acte de terrorisme de catastrophe serait un point de non retour dans l’histoire des États-Unis. Il provoquerait des pertes humaines et matérielles sans précédent en temps de paix et réduirait à néant le sentiment de sécurité de l’Amérique, comme l’a fait le premier essai nucléaire soviétique en 49. Comme Pearl Harbor cet événement couperait notre histoire entre un avant et un après. Les États-Unis pourraient répondre par des mesures draconiennes, en réduisant les libertés individuelles, en autorisant une surveillance plus étroite des citoyens, l’arrestation des suspects et l’emploi de la force létale. »

Ces lignes sont extraites d’un article paru en décembre 98 coécrit avec Ashton Carter et John Deutch, et qui était intitulé “le terrorisme catastrophique”. Les auteurs envisageaient dans ce texte les conséquences qu’auraient pu avoir un effondrement des tours jumelles lors des attentats de 93. Vous parierez bien une rognure d’ongle avec moi que les truthers ont pensé que cette phrase s’appliquait aux attentats du 11 Septembre, qui à cette époque, ne s’étaient pas encore produits !

Donald Forestier

co-écrit avec Charles Aissani, sous le pseudonyme de Donald Forestier, publié sur le site Agoravox le  16 octobre 2010.

Notes

[1]Ainsi Robert Kagan put il dire fièrement, 18 jours avant la déclaration de guerre des Etats-Unis à L’Irak, que « très peu de guerres dans l’histoire américaine (avaient) été préparées mieux ou plus complètement que celle-ci par le président. »

[2]L’expression de “born again idealist » fait écho à celle de “born again christian”. Le born again christian est un chrétien qui a reçu son illumination sur le tard. George W. Bush en est un exemple fameux. Alors qu’il était alcoolique, sa conversion l’a débarrassé de son vice et il a ainsi pu devenir le plus grand président de l’histoire des États Unis d’Amérique

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