L’incident de Mukden du 18 septembre 1931, déclencheur de l’invasion de la Mandchourie par le Japon

Voici l’article inaugural d’un nouveau site internet nommé « Observatoire Du Terrorisme d’État » (ODTE) : « L’incident de Mukden du 18 septembre 1931, déclencheur de l’invasion de la Manchourie par le Japon ». Ce site est une émanation de l’association reopen911 et sera sous la responsabilité de François Belliot, créateur avec Charles Aissani de Donald Forestier [voir tous ses articles dans la catégorie « Donald  Forestier » sur ce site]. Depuis des années reopen911 s’intéresse à des affaires liées directement ou indirectement aux attentats du 11 septembre 2001 : les lettres piégées à l’anthrax, la campagne de propagande pour la seconde invasion de l’Irak en 2003, l’affaire David Kelly, les incidents du Tonkin, etc. L’idée avec l’ODTE est de replacer toutes ces sortes d’événements dans une perspective historique plus vaste. Le terrorisme d’état étant un phénomène beaucoup plus ancien et répandu que la plupart des gens se l’imaginent, nous espérons ainsi ajouter un levier puissant et inédit pour faire évoluer les mentalités sur ce problème aussi crucial que méconnu. Nous passerons au crible dans ce site des exemples mettant en cause de nombreux états, et remontant parfois à des époques très anciennes. Nous nous intéresserons tantôt à des attentats terroristes, tantôt à des opérations de manipulation qui répondent aux mêmes objectifs, par exemple les assassinats ciblés et les campagnes de propagande.

Bibliographie

Cet article a été rédigé à partir des ouvrages suivants : Chronologie du Japon au XXème siècle, histoire des faits économiques et sociaux, Rémi Pérès, les Chronos, 2001 ; Hirohito, l’empereur ambigü, Edward Behr, Robert Laffont, 1987 ; Histoire du Japon et des japonais, Edwin O. Reischauer, Seuil pour la traduction française ; Le Japon au XXème siècle, Jacques Gravereau, Seuil 1993 ; Japanese imperialism 1895/1945, W. G. Beasley, Clarendon press, 1987 ; Japan 1868/1945, John Benson & Takao Matsamura, Pearson Education, 2001.

Actualisation (2018) : en octobre 2012, sur le même sujet, Bruno Birolli a fait paraître aux éditions Armand Collin l’excellent « Ishiwara, l’homme qui déclencha la guerre ».  Comme il s’agit du Japon, et non par exemple d’Israël, qui est mis en cause, le livre a pu bénéficier d’une très large promotion dans les médias alignés. J’en recommande néanmoins la lecture.


Contexte historique

Au moment où survient l’incident de Mukden, le 18 septembre 1931, cela fait déjà plusieurs décennies que le Japon, seul état d’extrême orient a s’être constitué en état moderne, s’inscrit dans une dynamique clairement expansionniste. Supérieur sur le plan institutionnel, économique, industriel, et militaire, le Japon à cette époque est de très loin la plus grande puissance de la région. Prenant modèle sur des puissances mondiales comme la France, la Grande-Bretagne, et l’Allemagne, le Japon veut, pour la première fois de sa longue histoire, se constituer un empire colonial dans lequel il pourra imposer son « ordre nouveau ». A partir de la fin du XIXème siècle, une succession de guerres lui permettent d’accroître considérablement son territoire, amorçant une dynamique qui ne sera rompue qu’à partir de 1942, et les premiers revers contre les Etats-Unis entrés en guerre après l’attaque de Pearl Harbor.

L’histoire et la géographie de l’Extrême-Orient n’étant guère connues des lecteurs français, nous vous proposons sous la forme d’une liste de dates les principales conquêtes du Japon dans la région de 1895 à 1931. Pour bien en visualiser la progression, nous vous invitons par ailleurs à vous reporter pour chaque date de la liste à la carte suivante :

Carte de l’expansionnisme japonais en Asie de 1895 à la Seconde Guerre Mondiale

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1876 le Japon contraint la Corée à signer un traité et à lui ouvrir ses ports (coup de force identique à celui des Étasuniens pour accéder aux ports japonais en 1854), initiative ambitieuse puisque la Chine a toujours considéré cet état comme un vassal.

1894/1895 : une révolte éclate en Corée ; Japon et Chine envoient en même temps des troupes. En découle la première guerre sino-japonaise. Les Japonais détruisent la flotte chinoise, et déferlent sur la Corée et la Mandchourie. Par le traité de Shimonoseki signé en avril 1895, La Chine cède Formose (future Taïwan), les îles Pescadores, les îles Ryukyu, les îles Kouriles et la presqu’île de Liaodong du sud de la Mandchourie. La Chine reconnaît l’indépendance de la Corée. La Russie, la France, et l’Allemagne contraignent cependant le Japon à restituer Liaodong

à la Chine. Trois ans plus tard, les Russes, présents dans la région depuis les années 1860 et les guerres de l’opium, s’emparent de la péninsule de Liaodong sur laquelle ils construisent la base navale de Port-Arthur.

1902 l’alliance anglo-japonaise conclue cette année-là est le premier pacte militaire négocié sur un pied d’égalité entre un pays occidental et un pays non occidental.

de janvier 1904 à mai 1905 : guerre victorieuse du Japon contre la Russie. Par le traité de Portsmouth signé en septembre 1905, la Russie cède la moitié sud des îles Sakhaline, la péninsule de Liaodong comprenant Port Arthur et Dalian, le contrôle du réseau ferré russe de la Mandchourie méridionale. Le traité implique un accès aux ressources stratégiques dans la région. Les deux parties acceptent cependant de retirer leurs troupes de la région (à l’exception de gardes japonais armés pour la protection du réseau ferré).

17 novembre 1905 : la Corée devient un protectorat japonais

30 juillet 1907 : accord entre le Japon et la Russie dont une clause secrète prévoit un partage de la Mandchourie en deux zones d’influence.

Août 1914 : en tant qu’allié de la Grande-Bretagne, le Japon déclare la guerre à l’Allemagne, ce qui lui permet de récupérer à peu de frais les possessions des cette dernière en Extrême Orient : l’archipel des Mariannes, les îles Marshall, les îles Carolines, et les établissements allemands dans la province du Shandong, en face de Port-Arthur.

Janvier 1915 : le Japon présente à la Chine les « 21 demandes ». Inacceptables et infamantes, celles-ci tendent à faire de la Chine un protectorat du Japon. La Chine défère aux plus importantes des demandes, mais est contrainte d’octroyer de considérables privilèges économiques en Mandchourie, au Shandong, et dans la province côtière de Fou-Kien située en face de Formose.

1919 : le traité de Versailles, que signe le Japon dans le camp des vainqueurs confirme les acquisitions des territoires allemands acquis par les Japonais. La Chine refuse de signer le traité.

Il est évident, au vu de cette rapide énumération d’événements, que, tôt ou tard, les Japonais allaient décider de pousser encore plus loin leur avantage en Mandchourie, jusqu’à s’assurer la main mise totale sur ce vaste territoire.

Si l’on se place sur une échelle de temps plus courte, une série de facteurs congruents explique que le Japon ait entrepris l’invasion de la Mandchourie précisément en 1931.

1) Depuis 1927, la guerre est ouverte en Chine entre la frange nationaliste du Kuomintang, dirigée par Tchang Kaï Tchek, et le Parti Communiste Chinois (PCC). En 1930, a lieu la meurtrière bataille des plaines centrales, qui contraint Tchang Kaï Tchek a appeler en renfort des troupes de Mandchourie, et ainsi à dégarnir la frontière avec les possessions japonaises sur le continent.

2) L’année 1931 coïncide avec le plus haut de la crise économique au Japon. L’augmentation des dépenses militaires permettrait de relancer l’économie, la conquête de nouveaux territoires donnerait l’accès à de nouvelles matières premières, et donnerait des débouchés aux hommes d’affaires et industriels japonais. S’emparer d’une partie du territoire chinois est cohérent avec le désir de s’affranchir du boycott massif des produits japonais imposé par le gouvernement du Kuomintang dans la foulée de l’épisode infamant pour la Chine des 21 demandes.

3) La crise économique fait rage chez toutes les autres grandes puissances qui ont des concessions et des colonies dans la région (France, États-Unis, Angleterre), lesquelles sont momentanément moins à même de s’investir dans ce plus lointain de leurs théâtres d’influence. Le Japon en cas d’invasion est certain d’avoir les coudées franches plus franches qu’il ne les a jamais eues.

4) La Mandchourie est le berceau de la dernière dynastie d’empereurs, renversée par le Kuomintang en 1912 (date de proclamation de la république de Chine) Cette dynastie a régné pendant 250 ans, et les Japonais sont certains de pouvoir trouver dans cette vaste région une « cinquième colonne » toute prête à collaborer avec eux contre le gouvernement du Kuomintang une fois la Mandchourie envahie.

5) Jusqu’en 1928, la Mandchourie est gouvernée par le seigneur de la guerre Zhang Zuolin, en conflit ouvert avec le Kuomintang de Chang Kaï Tchek. Inféodé aux Japonais, il est cependant considéré comme incompétent et pas assez coopératif par les militaires qui prennent l’initiative de l’assassiner en faisant sauter le train qui le transporte. Les effets de l’opération ne sont pas ceux escomptés : son fils Zhang Zueliang, qui le remplace aussitôt, prête allégeance au Kuomintang et commence à participer à la propagande anti-japonaise et à battre en brèche le monopole économique japonais dans la région.

6) Le contrôle du réseau ferré de la partie méridionale de la Mandchourie, protégé par des gardes armés japonais, et géré par l’énorme et tentaculaire consortium Mantetsu, fournit une tête de pont idéale en vue d’une invasion, d’autant que les Japonais peuvent compter dans cette région sur l’armée du Kuantang, forte de 11000 hommes.

7) L’armée au Japon, étant subordonnée à l’empereur, jouit de fait d’une quasi autonomie par rapport aux parlementaires pour lesquels beaucoup d’officiers à l’idéologie impérialiste n’ont que mépris, comme en témoignent les tentatives de coup d’état de 1832 et 1836, au cours desquelles des hommes de politiques de premier plan sont froidement assassinés.

C’est dans ce contexte particulier que se produit l’incident de Mukden, qui va servir de casus belli au Japon pour déclencher l’invasion de la Mandchourie, prélude à l’invasion de la Chine quelques années plus tard.

Quelques mots sur la ville, enfin, puisque Mukden n’est pas une ville anodine. C’est le berceau de la dernière dynastie d’empereurs de Chine, éteinte en 1912 après proclamation de la République. Un palais impérial y est bâti. La ville dispose d’un aérodrome, et se trouve sur long du réseau ferré de Mandchourie, protégé par des gardes japonais. En 1905, la ville avait déjà été le théâtre d’une féroce bataille au terme de laquelle les Japonais avaient pu y étendre leur influence. En 1928, c’est non loin de la ville que l’armée du Kuomintang avait fait exploser le train dans lequel se trouvait le seigneur de la guerre Tchang Tso lin.

Les faits selon la version officielle

Le 18 septembre 1931, à 22h20, un groupe de terroristes chinois fait exploser la voie de chemin de fer près de la ville de Mukden (nom actuel : Shenyang). Le choix de l’endroit où les terroristes placent leur bombe, Liutiao, autrement dit le « Pont de Liao », ou la « Tranchée de Liao », selon les traductions, démontre la volonté des terroristes de mener des opérations de sabotage dans des lieux stratégiques. Des gardes japonais du réseau ferré de Mandchourie, présents non loin et alertés par l’explosion, se précipitent vers son origine. La garnison chinoise de Baideyang se trouvant à seulement 800 mètres du site, l’identité du coupable ne semble faire aucun doute et les Japonais cernent et attaquent la garnison.

Le lendemain de l’attentat, des journalistes japonais des grands médias sont invités à se rendre sur les lieux. Ils y découvrent un rail défoncé et deux cadavres de terroristes chinois. L’événement fait la Une des journaux et suscite sur l’archipel l’indignation la plus vive.

La conquête éclair de la Mandchourie

La conquête de la Mandchourie mérite l’épithète de « foudroyante ». Aussitôt « l’incident » communiqué, les troupes japonaises dispersés à travers la Mandchourie méridionale entrent en action et attaquent les garnisons chinoises. La garnison chinoise basée près de la ville de Mukden, et forte de 7000 hommes, est attaquée par des troupes japonaises 10 fois inférieures en nombre. Par chance, Zhang Zueliang, se trouvait loin au sud de la Grande Muraille avec le gros de ses troupes, occupé à guerroyer contre les communistes ; il avait donné des consignes, de ne pas opposer de résistance en cas d’attaque, pour sauvegarder l’essentiel de ses troupes et de son matériel. Le combat, rapide, fait 500 morts du côté chinois. Les Japonais n’ont à déplorer que deux tués. Les forces nippones s’emparent de Changchun au nord de Mukden le 19 septembre, puis de Kirin le 21. Dès le 19, l’aviation japonaise basée en Corée entre en action et harcèle les troupes chinoises. Le 22 l’empereur Hiro Hito ordonne au général Hayashi dirigeant l’armée de Corée de franchir la frontière pour opérer la jonction avec l’armée du Kuantang, et fait décoller ses avions pour pilonner les troupes chinoises. Les principales villes de Mandchourie sont conquises les unes après les autres et en février 1932, la région est entièrement sous contrôle des forces japonaises.

Mise en place d ‘une commission d’enquête et incohérences de la version officielle

L’événement suscite évidemment l’indignation de la communauté internationale, en particulier les Grandes Puissances qui commencent à voir d’un très mauvais œil les velléités expansionnistes du Japon. Membre de la Société Des Nations depuis 1920, le Japon doit se conformer aux règles de la charte qu’il a signée, et accepte la mise en place d’une commission d’enquête internationale dirigée par le Comte de Lytton. Les États-Unis, seule grande Puissance que les Japonais redoutent encore vraiment, pèsent de tout leur poids pour contraindre le Japon à ouvrir la Mandchourie aux enquêteurs. La commission Lytton rend ses conclusions le 2 octobre 1932. Elles sont accablantes pour le Japon et soulignent deux faits. Un, loin d’être un état indépendant, le Mandchoukouo est en train de devenir une colonie japonaise, comme la Corée. Les commissionnaires relèvent les méthodes brutales des envahisseurs : « Dès le printemps 1932, par exemple, 25000 familles sont évacuées pour céder leur place à des fermiers japonais. Parqués dans d’inhumains camps de concentration, la plupart seront fusillés, femmes et enfants compris. Nombre de commerçants chinois sont rackettés, enlevés, torturés, dépouillés. L’usage de la drogue, qui est prévu pour miner systématiquement la population sur une vaste échelle, est très officiellement encouragé par l’institution d’un Bureau du monopole de l’opium. » (Gravereau, p 62) Deux : l’incident de Mukden a été fomenté par l’armée japonaise pour fournir un prétexte à l’invasion de la Mandchourie. Parmi diverses invraisemblances dans la version présentée par le gouvernement japonais, il est incompréhensible qu’un train ait pu passer sans encombre l’endroit de la voie atteint par l’explosion seulement dix minutes après que celle-ci ne survienne. L’argument du gouvernement japonais selon lequel son armée aurait agi de son propre chef et en état de légitime défense, ne tient pas. Les Japonais en conséquence n’ont aucune légitimité à occuper la Mandchourie, et doivent retirer leurs troupes.

Actualisation (2018) : même si les conclusions de cette commission d’enquête  de la SDN sont correctes, ayons à l’esprit que de nombreux pays « occidentaux » avaient intérêt à l’époque à ce que la réputation internationale du Japon soit publiquement entachée.

Révélations ultérieures

Les dessous de l’affaire sont aujourd’hui beaucoup mieux connus qu’à l’époque, et le scénario de l’incident de Mukden, regardé de façon quasi unanime par les historiens comme un attentat fomenté de A à Z par des officiers de l’armée du Kuantang, a pu être reconstitué dans ses grandes lignes.

Des rumeurs d’intervention armée des troupes japonaises circulaient les semaines précédant l’attentat. « le 4 août, le général Minami, nouveau ministre de la guerre, donnant ses instruction à des commandants de division après un exercice d’état major au Japon, les avertit du fait que la situation était « grave » en Mandchourie et en Mongolie. Ce n’était pas une « phase transitoire », dit-il ; c’était dû à un « déclin du prestige japonais » et à la « manie chinoise de vouloir récupérer ses privilèges ». (Behr, p 129). Trois officiers de l’armée du Kuantang ont joué un rôle clé dans la mise en scène du 18 septembre, « Ishawara en qualité de théoricien et « cerveau », Itagaki de coordinateur de l’état major et Doihara d’officier de liaison avec les Mandchous » (Behr, p 125). Comme l’ont prétendu les autorités japonaises, Ceux-ci semblent avoir agi de leur propre chef. Néanmoins, le commandant en chef de l’armée du Kuantang a accepté d’endosser la responsabilité du coup de force, alors qu’il n’était pas à Mukden la nuit du 18 septembre.

 

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Le colonel Fanji Ishiwara
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L’officier de liaison Kenji Doihara

Pour atteindre leurs objectifs, les japonais doivent à tout prix détruire deux cibles majeures à Mukden : la gendarmerie chinoise et l’aérodrome d’où pourrait s’envoler la minuscule force aérienne de Zhang Liueh. Plusieurs mois avant les événements des membres du génie de l’armée installent secrètement dans la piscine du club des dirigeants japonais de Mukden des pièces d’artillerie qui seront décisives au moment de l’offensive.

Le but n’était pas de détruire la voie ferrée, mais de créer le maximum de bruit, et le minimum de dégâts. Ce qui explique pourquoi des militaires chinois ont accouru, et pourquoi un train a pu emprunter la voie ferrée 10 minutes après sans dérailler. Le lieu de l’incident, Liutiao, « le lac de Tiao » a été volontairement mal traduit par les Japonais qui voulaient donner l’illusion d’un lieu très stratégique. Le lieu de la voie ferrée choisi pour l’attentat de fait n’est ni un pont ni une tranchée, mais une plaine.

Les jours précédant l’événement, l’entourage de l’empereur a vent d’une possible intervention de l’armée du Kuantang et dépêche un émissaire auprès du général Honjo pour appeler les officiers commandant les troupes japonaises stationnées en Mandchourie à la retenue. Le général Tatekawa est retenu pour cette tâche. Choix pour le moins curieux, puisque l’homme est connu pour être un ardent défenseur d’une intervention militaire en Mandchourie. Ce dernier, selon toutes apparences, fait en sorte de n’arriver à Mukden que le lendemain de l’attentat.

Vu les troubles diplomatiques engendrés par l’opération, on aurait pu s’attendre à ce que les trois maîtres d’œuvre de l’incident, et les généraux Honjo et Takekawa, soient gravement sanctionnés. « Bien au contraire, Hirohito (l’empereur), donna à Hanjo la plus grand preuve de son estime en 1933 en faisant de lui son premier aide de camp (et, partant, l’un des officiers les plus puissants de l’armée impériale). Le colonel Itigaki fut promu au rang de général et de ministre de la guerre en 1939. Quelque temps après « l’incident de Mukden », le commandant des troupes nippones en Corée, le général Hayashi [qui avait spontanément volés au secours des ses collègues, ndlr], devint d’abord ministre de la guerre, puis, brièvement, Premier Ministre. Doihara s’éleva lui aussi très haut dans la hiérarchie militaire, devenant commandant de l’armée de l’air et un des généraux les plus fameux du Japon. » (Behr p 134)

La conclusion de ces révélations et coïncidences ne laisse guère de place au doute : « Cette conspiration fut montée sur une échelle si colossale, mobilisant de telles ressources, avec des opérations qui devaient être calculées à la seconde près, qu’il est impossible qu’elle ait eu lieu sans le consentement tacite et surtout sans le soutien actif de la majeure partie de l’état major général de l’armée nippone. » (Behr p 125) Et si le gouvernement n’était pas au courant, il était probable que l’empereur Hirohito et son état-major le fussent : « il est très improbable, quand on sait à quel point Hirohito prenait ses devoirs au sérieux et combien il était curieux de tout ce qui concernait les affaires militaires, qu’il soit resté dans l’ignorance totale. Il eut certainement connaissance des préparatifs, puisqu’il finit par prendre quelques mesures, au demeurant très molles, pour mettre l’armée du Kuangtang en garde contre une action précipitée. » (id)

Suites de l’invasion de la Mandchourie

Refusant d’admettre les conclusions accablantes du rapport Lytton, ratifié par tous les états membres, le Japon décide de se retirer de la Société des Nations le 27 mars 1933. L’épisode est plaisamment (avec quelques approximations) raconté par Hergé dans le Lotus Bleu :

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Le Japon a déjà reconnu l’indépendance de la Manchourie, en créant l’état « indépendant » du Mandchoukouo le 18 février 1932, à la tête duquel sera installé deux ans plus tard, le 29 décembre 1934, le dernier empereur de Chine Henry Pu Yi, évincé du pouvoir avec le renversement de la dynastie mandchoue et de la proclamation de la République en Chine par Sun Yat Sen en 1912. De nombreux pays, parmi lesquels les États-Unis refusent de reconnaître ce nouvel état. Les années qui suivent, poursuivant son élan impérialiste, le Japon étend progressivement son emprise sur la Mandchourie, s’accaparant les ressources pétrolières, prenant le contrôle des mines, et accaparant presque tout le commerce du protectorat. En août 1937, le Japon franchit un pas supplémentaire en se lançant dans l’invasion de la Chine, l’épisode étant regardé par de nombreux historiens comme le premier événement de la Seconde Guerre Mondiale. Puis, quand les Grandes Puissances sont écrasées par l’Allemagne en 1940, les Japonais s’emparent de leurs possessions coloniales, notamment l’Indochine française et l’Indonésie hollandaise.

Bref, si on le met dans la balance avec toutes les conquêtes qui le précèdent depuis 1895, et toutes celles qui le suivent jusqu’en 1941, l’incident de Mukden, ferait figure de péripétie anecdotique s’il n’était pas l’événement qui précipite le Japon sans retour sur la voie de l’expansion impérialiste à outrance.

L’incident de Mukden, est un souvenir particulièrement douloureux dans la conscience collective chinoise. La lâche façon avec laquelle l’armée de Zhiang a reculé face à des troupes pourtant largement inférieures en nombre, est encore aujourd’hui un sujet de honte profonde, sans même évoquer les inacceptables 21 demandes envoyées par le Japon en 1915, ou l’invasion de la Chine en 1937. Pour cette raison, le 18 septembre est fêté chaque année en Chine comme le « jour de l’humiliation nationale ».

François Belliot, pour l’Observatoire Du Terrorisme d’Etat

Nota Bene : Article initialement publié sur mon ancien site l’Observatoire Des Mensonges d’État (désormais inactif) en janvier 2012. Il s’agissait du fruit d’une collaboration avec l’association reopen911, qui décida finalement de la saboter immédiatement dès la parution de ce premier article. Le projet ODTE en effet devait fatalement mener à établir les opérations sous faux-drapeau comme la spécialité israélienne  par excellence, l’une des fonctions de reopen911, en tant qu’association de la « contestation contrôlée » étant de couvrir Israël pour promouvoir la théorie de l' »inside job »étasunien dans la planification et la mise en œuvre des attentats du 11 septembre 2001. Je laisse néanmoins le paragraphe introductif de l’époque tel quel…

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