Le Qatar, notre nouvel ami

Dans un précédent article j’ai tenu à rendre hommage à notre plus vieil et plus fidèle allié, les États-Unis d’Amérique, et son système politique génial précurseur de toutes les grandes démocraties modernes ; je veux à présent célébrer le plus récent de tous nos alliés, en l’occurrence la Qatar, un pays qui gagne vraiment à être connu, et sur lequel circulent, malheureusement, des clichés et des rumeurs aussi infamants que dénués de fondement.

Il aura échappé à peu de gens, même dans les coins les plus reculés de la France profonde que nous avons, depuis quelques années, un nouvel allié particulièrement visible : Le Qatar.

Il y a dix ans personne n’avait entendu parler de ce pays grand comme la Corse, peuplé de 250 000 habitants, niché sur la côte sud du Golfe Persique. Timidement, d’abord, nous nous sommes fait quelques appels du pied, puis, nous étant entendus, nous avons hasardé quelques projets communs, enfin, confiants dans notre entente et dans ses promesses, nous avons multiplié ces dernières années les aventures communes et les rapprochements spectaculaires.

Nous avons ainsi été les deux premiers états du monde à reconnaître les conseils nationaux de transition libyen puis syrien. La France a déplacé notre base militaire de Djibouti aux Émirats Arabes Unis voisins, pour protéger le Qatar des visées impérialistes de son puissant voisin, l’Iran. Total exploite une partie importante du gaz qatari. Le Qatar investit massivement en France (PSG, hôtels de luxe, grand prix de l’Arc de Triomphe), et est récemment devenu membre associé de l’organisation mondiale de la Francophonie. Plus généralement, le Qatar est l’allié de l’OTAN et soutient toutes ses guerres de libération démocratique depuis 10 ans. Non seulement donc, nous avons avec le Qatar un nouvel ami, mais un ami avec lequel nous avons noué des liens très étroits et qui nous engagent sur des points extrêmement sensibles.

Une amitié contre nature ?

Qui aurait pu imaginer cela il y a 20 ans ? A première vue, tout aurait dû nous éloigner de ce pays. Si l’on prend une liste de critères simples, on pourrait en effet ranger ce pays dans la catégorie de « l’axe du mal » si chère au président W. Bush.

La France est une république démocratique, le Qatar est une monarchie absolue. La France est ouverte aux naturalisations d’étrangers, il est presque impossible de devenir citoyen qatari. La France a aboli la peine de mort, le Qatar la pratique encore. La France a aboli les châtiments corporels, le Qatar applique le supplice du fouet. La France est un état laïc qui maintient l’exercice de la religion dans le domaine privé et le protège comme tel, le Qatar applique la charia et interdit formellement aux missionnaires d’autres religions de faire du prosélytisme sur son sol, et interdit aux bâtiments correspondants d’arborer des symboles distinctifs. La France offre aux Qataris des conditions très avantageuses pour investir sur son sol, et autorise des prises d’actifs importants, les investissements étrangers au Qatar sont réglés de contraintes très strictes. La France applique un droit du travail jugé par les investisseurs contraignants, le Qatar n’a pas de droit du travail et croît et se développe en employant une main d’œuvre étrangère dans des conditions proches de l’esclavage.

Bref, à première vue, nous avons dans le Qatar l’antithèse exacte de ce qu’est la France et de ce qu’elle représente aux yeux du monde.

Je n’ai pas entendu les grands médias parler d’intérêts stratégiques supérieurs qui nous auraient obligé à entrer de façon aussi complète et soudaine dans une alliance aussi contre nature, si l’on regarde les principes et les systèmes politiques en vigueur. Jean Pierre Pernaud, par exemple, n’en a jamais parlé. On doit donc évacuer cette hypothèse.

Il n’y a strictement aucun facteur géostratégique qui pousse la France vers le Qatar. Les matières premières ne sont pas un enjeu, les gazodollars ne servent pas à financer je ne sais quelles opérations secrètes. De toutes façons, la France est un pays qui a toujours mis en avant ses idéaux avant ses intérêts stratégiques. Ce n’est pas pour rien que nous sommes connus comme « le pays des droits de l’homme ».

Une interprétation psychologique : le complexe de Frodon

Les couples ne se forment pas toujours par affinités et points communs. Chacun sait que certains couples, au contraire, ne se forment que dans la mesure où ils représentent l’alliance de certains contraires. Laurel et Hardy sont aussi dissemblables qu’ils se complètent, et leurs films seraient beaucoup moins drôles avec deux Laurel ou deux Hardy. Dans le seigneur des anneaux le « bon » Frodon n’aurait jamais pu accomplir sa quête sans l’aide du « méchant » Gollum, qu’il eut l’humanité de croire rachetable.

C’est un peu la situation de la France avec le Qatar : nous ressemblons aussi peu au Qatar que Laurel ressemble à Hardy, et comme Frodon, malgré une certaine répugnance que nous ressentons forcément, mais que jusqu’à maintenant nous avons diplomatiquement mise en veilleuse, nous sommes devenus amis avec Gollum, certes parce qu’il nous est utile (dans notre lutte contre ces membres de l’axe du mal qu’étaient ou que sont la Libye, la Syrie, et l’Iran), mais surtout parce que nous avons deviné que le Qatar, contrairement à des pays comme la Syrie ou la Libye, avait un bon fond, qui pouvait le mettre sur le chemin de la rédemption.

Nous accomplissons cette tâche ingrate, et qui nous rend suspects aux yeux de certains défenseurs de la démocratie, car nous sommes certains, en nous accolant à lui de façon quasi coïtale, de n’avoir pour seul plan, noble, de le changer de l’intérieur, de faire en sorte que ce pays et ses dirigeants à leur tour connaissent la révélation sur leur chemin de Damas.

Je me sens si sûr de mon fait et de mes arguments que je peux me risquer à faire une ou deux prédictions : d’ici quelques années, au Qatar, la monarchie absolue sera transformée en la démocratie la plus ouverte du monde. Les 75% de travailleurs étrangers avec passeports confisqués seront massivement régularisés. La famille régnante al Khalifa va chausser les bottes de sept lieues pour remettre le pouvoir entre les mains du peuple qatari qui pourra mettre en place une assemblée constituante.

Je fais également le pari que nous n’aurons pas à attendre longtemps pour que le mariage homosexuel soit spectaculairement autorisé d’ici peu. Alors que pour l’instant la sodomie avérée y est punissable de 5 ans d’emprisonnement, cette réforme sera annoncée par un membre de la famille royale qui fera son comingaout en cette occasion. Le couple homosexuel princier adoptera alors un bébé français, et notre œuvre de transformation en profondeur du Qatar pourra être regardée comme achevée. Une deuxième statue de la liberté pourra alors être édifiée sur le cap Rakan.

Donald Forestier

Cet article a été originellement publié dans feu le journal L’Audible en novembre 2012, et sur Agoravox le 4 septembre 2013.

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