L’attentat de la discothèque La Belle en avril 1986, premier casus belli contre la Libye de Kadhafi (2/3)

Après avoir exposé, dans la première partie de cette étude, le déroulement de l’attentat de la discothèque La Belle survenu à Berlin ouest en avril 1986, et le bombardement subséquent de la Libye par les États-Unis lors de l’opération El Dorado Canyon, nous en venons au récit du procès qui s’ouvre en novembre 1997, et de ses zones d’ombre. Nous évoquons également le témoignage de l’ex-agent du Mossad Victor Ostrovski et la polémique qu’il a engendré.

Alors que 10 jours après l’attentat, Ronald Reagan annonçait disposer de preuves “irréfutables”(voir la première partie), il faut attendre 4 ans pour qu’un ensemble d’éléments nouveaux soient versés au dossier et permettent de démarrer vraiment l’enquête. La chute du mur de Berlin en 1989, ouvre l’accès aux archives de la Stasi, lesquelles fournissent des informations sur les individus qui depuis Berlin-est auraient mis en œuvre l’attentat à l’époque. Selon l’accusation, ces archives livrent en particulier cinq noms : trois employés de l’ambassade de Libye à Berlin-est, Musbah Eter, Yasser Chraïdi, et Ali Chanaa, et deux femmes, Verena, la femme d’Ali, et Andrea Haeusler, la sœur de Verena.

Eter et quatre autres suspects sont arrêtés en 1996 au Liban, en

le procureur Detlev Mehlis

Italie, en Grèce, et à Berlin. L’enquête peut enfin commencer. le procès s’ouvre en novembre 1997, sous la direction du procureur Detlev Mehlis. Elle dure quatre longues années au terme desquelles, en novembre 2001, Musbah Eter, qui n’avait de cesse pendant le procès de charger les autres co-accusés est condamné à 12 ans de prison pour assistance aux préparatifs de l’attentat. Yasser Shraïdi et Ali Chanaa, écopent de 14 et 12 ans, le premier pour avoir été le cerveau de l’opération, le second pour participation à sa mise en œuvre. Verena Chanaa, la femme d’Ali, est la seule à être condamnée pour meurtre, puisque c’est elle qui a placé la bombe dans la discothèque ; elle écope quant à elle de 14 ans de prison. L’enquête détermine que les trois hommes ont assemblé la bombe dans l’appartement des Chanaa. L’explosif ayant servi à l’attentat a été acheminé depuis Berlin-Est dans une valise diplomatique libyenne. Verena Chanaa et sa sœur, Andrea Haeusler, ont posé la bombe dans la discothèque et en sont sorties 5 minutes avant qu’elle n’explose. Mme Haeusler a été acquittée au motif qu’elle ignorait tout de l’affaire, notamment que le sac meurtrier contenait une bombe.

La cour établit pour mobile de l’attentat le désir de la Libye de se venger des pertes matérielles et humaines subies lors des exercices militaires étasuniens de vaste ampleur organisés à la limite du golfe de Sidra dix jours plus tôt par les Étasuniens (voir la première partie de cette étude).Dans le dossier chargeant les inculpés, figurent les messages de préparation et de revendication envoyés depuis Tripoli à l’ambassade de Berlin-Est, des écoutes téléphoniques d’Eter et

Musbah Eter

Shraïdi, des rapports sur les activités de l’ambassade de Libye à Berlin-est, et des documents attestant de versements d’argent aux époux Chanaa en récompense de leur action. Le procès en revanche n’a pu permettre d’établir formellement la responsabilité de Kadhafi dans cette affaire, la cour regrettant sur ce point l’extrême réticence des services de renseignements allemands et étasuniens à partager leurs informations avec la cour.

Les zones d’ombre de l’enquête : révélations ultérieures

En 1998, des journalistes allemands du magazine Frontal de la chaîne publique ZDF, alertés par ce qu’ils croient reconnaître comme des zones d’ombre de l’enquête, décident de mener leur propre investigation. Les faits qu’ils mettent à jour, et les conclusions auxquelles ils parviennent s’écartent à l’extrême de celles de M. Mehlis, et ils en viennent à exposer leurs doutes de façon circonstanciée dans un documentaire qui passe à la télévision le 25 août de cette année. Les auteurs du documentaire allemand font un certain nombre de découvertes parmi lesquelles : le principal inculpé présent, Yasser Shraïdi est très probablement innocent et a été utilisé comme bouc émissaire par les services de renseignements ouest-allemands (BND) et étasuniens (CIA) ; au moins l’un des inculpés, Musbah Eter, a été un agent de la CIA pendant de nombreuses années ; au moins l’un des suspects, Mohamed Amairi, serait un agent du Mossad. Quant à Shraïdi, établi par la suite au Liban, les autorités allemandes ont exercé de fortes pressions pour obtenir son extradition, comme l’indiquent le procureur libanais Mounif Oueidat et son adjoint Mrad Azoury. Ce dernier a ainsi déclaré qu’on ne lui avait donné aucune preuve de l’implication de Shraïdi dans l’attentat (voir par ailleurs cet article de Nafeez Mossadeq). Il y avait tout au plus de vagues indices. Ces preuves étaient d’ailleurs si minces, précisent les journalistes de Frontal, qu’un juge de Berlin lié à l’affaire menaça de relâcher Shraïdi si on ne lui fournissait pas quelque chose de plus solide (nous sommes le 9 septembre 1996).

Le même jour où ce juge lançait cette menace, le procureur Mehlis, s’envolait pour l’île de Malte en compagnie de l’inspecteur de police Uwe Wilhelms et un agent des services secrets allemands pour y rencontrer un homme avait jusque là été ignoré par l’accusation : Musbah Eter. L’homme y dirigeait une entreprise de commerce international qui, selon Frontal, servait de couverture à certaines activités secrètes de la CIA. L’accord était le suivant : les poursuites contre Eter seraient arrêtées si ce celui-ci acceptait de témoigner contre Shraïdi. Ayant accepté le marché, il va témoigner le lendemain à l’ambassade d’Allemagne ; le mandat d’arrêt le visant est levé, et, pensant ne courir aucun risque, il s’envole pour l’Allemagne. Selon Frontal, qui s’appuie sur des notes de services de renseignement est-allemands, lesquels surveillaient de près Eter à l’époque, l’homme travaillait à l’ambassade libyenne de Berlin-est mais faisait de fréquentes visites à l’ambassade des États-Unis. Beaucoup d’autres éléments pointent une participation active d’Eter dans la préparation de l’attentat.

Les journalistes de Frontal relèvent par ailleurs que certains suspects clés n’ont pas pu témoigner devant la cour car ils sont protégés par ces services de renseignement. Il y avait apparemment un autre groupe impliqué dans l’attentat, un groupe de terroristes professionnels, dirigé par un certain “Mahmoud” Abu Jaber, qui travaillait pour quiconque avait de quoi les payer. Les membres de ce groupe ont été cités lors du procès, mais de façon extrêmement superficielle et sans qu’on fasse jamais peser la moindre charge sur eux. Ces hommes étaient pourtant présents à Berlin-est quelques mois avant l’opération et avaient des contacts quotidiens avec les autres inculpés. Plusieurs heures avant l’attaque, ils sont passés à Berlin-Ouest. Leurs déplacements ont été relevés par les services soviétiques et est-allemands qui sont parvenus à la conclusion qu’il s’agissait d’agents à la solde de services occidentaux[1]. Les journalistes de Frontal ont retrouvé la trace en Norvège de Mohamed Amairi, le bras droit de Mahmoud Abu Jaber, et sont même parvenus à obtenir un entretien. Celui-ci a pris fin au moment où l’homme a refusé de dire pour quel service de renseignement il travaillait. Son avocat, plus loquace, concéda ensuite qu’il était “un agent du Mossad”.

Les conclusions de Frontal sur l’évaluation des responsabilités dans l’attentat de la Belle sont très différentes de celles du procureur Mehlis, qui, après s’être complètement désintéressé de ce personnage clé de l’affaire qu’est Mohamed Amairi, fut celui qui leva le mandat d’arrêt pesant sur lui, avant qu’il n’obtienne la nationalité norvégienne dans des circonstances troubles. « Ces intrigues des services secrets rendent la tâche de la cour de Berlin pratiquement insoluble, mais une chose est certaine, concluent les journalistes de Frontal, la version étasunienne présentant l’état libyen comme un état terroriste ne peut plus être maintenue plus longtemps.  »

Le rôle trouble de Detlev Mehlis dans l’assassinat de Rafik Hariri

Au vu de la gravité des irrégularités dont le juge Mehlis s’est apparemment rendu coupable lors du procès de La Belle, on aurait pu au moins s’attendre à ce qu’une contre enquête soit menée pour obtenir certaines réponses de sa part. Rien de tout cela n’est arrivé. Au contraire : c’est à cet homme qu’a échu la redoutable responsabilité de présider la commission d’enquête sur l’assassinat du premier ministre libanais Rafik Hariri. Comme l’exposent ces deux articles de Talaat Ramih et de Thierry Meyssan, M. Mehlis dans l’affaire Hariri semble être allé encore plus loin.

Parmi les innombrables irrégularités de cette commission d’enquête, Ramih et Meyssan relèvent que 1) l’analyse de la scène du crime n’a pas été faite dans le détail. 2) le profond cratère constaté après l’explosion ne correspond pas à l’effet qu’aurait causé une camionnette piégée. 3) La reconstitution a eu lieu en France, à huis clos, et ses résultats n’ont pas été communiqués. 4) Comme les enquêteurs voulaient vérifier l’hypothèse d’un missile tiré depuis un drone (plusieurs témoins ayant entendu un aéronef au moment de l’attentat), ils ont demandé des photos satellites de la zone au moment des faits aux Israéliens et aux Étasuniens qui se sont déclarés incapables d’accéder à cette requête, en raison de pannes techniques conjointes de leurs satellites. 5) Un passager de la voiture blindée de Hariri a survécu. De façon inattendue on a retrouvé dans son corps des traces d’uranium appauvri, ce qui aurait dû amener les enquêteurs à explorer la piste du missile à l’uranium appauvri, technologie inaccessible aux Syriens et aux combattants du Hezbollah, en première ligne aux rangs des accusés dans cette affaire. 6) La place de procureur n’aurait jamais dû être confiée à M Mehlis, pour des raisons de conflits d’intérêts. Meyssan remarque : “Au début des années 2000, M. Mehlis a été grassement rémunéré comme chercheur par le Washington Institute for Near East Policy WINEP (le think-tank du lobby pro-israélien AIPAC) et par la Rand Corporation (le think-tank du complexe militaro-industriel états-unien). Autant d’éléments qui jettent un doute sur son impartialité dans l’affaire Hariri et auraient dû le faire récuser.” 7) Mehlis était assisté du commissaire Gerhard Lehmann, peut-être agent des

Gerhard Lehmann

services secrets allemands et étasuniens, reconnu formellement par un témoin comme participant au programme d’enlèvements, de séquestrations et de tortures, mis en place en Europe par l’administration Bush (voir le paragraphe 99 du rapport de Dick Marty du 12 juin 2006 pour le Conseil de l’Europe). 8) sur les trois échantillons de terre prélevés sur la scène du crime, répartis ensuite en trois bocaux qui ont été envoyés à trois laboratoires différents, deux analyses n’ont montré aucune trace d’explosif. Le troisième bocal, pris par Mehlis et Lehmann, et envoyé par leur soin au troisième laboratoire, est le seul à avoir révélé les traces d’explosifs recherchés. Or en principe, si l’on décide de recourir à trois experts judiciaires, c’est qu’en cas de désaccord entre eux, on se reporte à l’avis majoritaire. 9) Pour mener son enquête, l’homme a concédé s’être appuyé sur l’expertise des services de renseignement israéliens, alors qu’Israël pouvait être suspecté d’être partie prenante de l’assassinat (Ramih et Meyssan). 10) Le procureur n’a pas hésité à s’appuyer sur des faux témoignages, pour porter le soupçon sur les président Bashar el Assad et Emile Lahoud. “Sur la base de ces faux témoignages, dit Meyssan, Detlev Mehlis arrêta, au nom de la Communauté internationale, quatre généraux libanais et les fit incarcérer durant quatre ans. Pénétrant avec ses cow-boys au domicile de chacun, sans mandat de la justice libanaise, il interpella également les membres de leur entourage. Avec ses assistants —qui s’expriment entre eux en hébreu— il tenta de manipuler les familles.” En outre, détail qui rappelle furieusement la rencontre entre Mehlis et Eter à Malte en 1990, “Lehmann proposa à un des quatre généraux incarcérés de le libérer s’il acceptait de porter un faux témoignage contre un dirigeant syrien.” Meyssan conclut : “L’enquête de Detlev Mehlis a sombré non seulement dans le ridicule des faux témoins, mais dans l’illégalité de l’arrestation des quatre généraux. Au point que le Groupe de travail sur les détentions arbitraire du Conseil des droits de l’homme de l’ONU est intervenu pour condamner fermement cet excès de pouvoir.

Actualisation (2018) : eus égard aux articles que j’ai fait paraître à l’été 2018 sur les très graves fraudes dont est entaché le livre de Meyssan Sous nos yeux, en particulier son imposture libyenne, je pourrais supprimer ces références, mais comme je l’ai précisé, Meyssan ne peut avoir tort sur tout sinon il ne serait pas crédible pour un sou. Et ici, de fait, il n’a pas tort… Je pourrais supprimer ce vestige mais je le laisse pour témoigner qu’en tant que chercheur on peut être amené à réviser et affiner ses positions avec le temps.

Devant l’ampleur du scandale, l’homme, pressé par son gouvernement, se retire de la commission d’enquête avant qu’elle parvienne à son terme.

Cet ensemble d’irrégularités et de manipulations accablantes pour Detlev Mehlis ne sont évidemment pas de nature à diminuer la méfiance que son action pendant le procès de la Belle pourrait inspirer. Bien au contraire, les pratiques auxquelles l’homme s’est abondamment livré en tant que directeur de deux enquêtes extrêmement sensibles dessinent en creux le profil d’un juge ripou dont la fonction serait à l’occasion de dissimuler des affaires de mensonges d’état.

La contre-enquête du magazine Frontal, en révélant les manipulations du juge Mehlis, et les liens de certains terroristes avec le Mossad, la CIA, ou le BND, ont permis de porter un regard différent sur la planification et le déroulement de l’attentat.

Un autre mystère est encore à éclaircir : pourquoi des messages de revendication ont-ils été émis, ce qu’aucun pays n’a contesté, depuis Tripoli, dans les jours précédant et suivant l’attentat ? Un ex agent du Mossad a peut-être donné la réponse à cette question.

Le témoignage de l’ex agent du Mossad Victor Ostrovski

Victor Ostrovsky

Victor Ostrovski est un ancien agent opérationnel du Mossad qui a travaillé pour l’agence de renseignement israélienne de 1982 à 1986. Animé au départ par l’idéal nationaliste et persuadé de la conduite irréprochable de l’état d’Israël, peu à peu il déchante et est scandalisé par « la corruption des idéaux, le pragmatisme qui se regarde le nombril, couplés à (…) la convoitise, et un manque de respect total pour la vie humaine  », il démissionne et ressent le devoir de révéler les dessous de quelques unes des opérations les plus impressionnantes du Mossad. Cela donne deux livres aux contenu explosif : By Way of Deception en 1990, et Other Side of Deception, en 1995.

Dans le second de ces deux livres, Ostrovski consacre un long développement à une opération particulièrement osée menée par le Mossad sur le sol Libyen au début de l’année 1986.

Les quatre paragraphes suivants sont une traduction ramassée du récit d’Ostrovski.

« Début 1986, le Mossad, toujours en quête d’idées nouvelles et audacieuses pour mettre en difficulté ceux qu’il considère comme les ennemis d’Israël les plus dangereux, imagine d’implanter un émetteur en plein cœur de Tripoli par le biais duquel de fausses informations compromettantes pourraient être envoyées. Ces émissions seraient codées et emprunteraient une fréquence gouvernementale libyenne. Interceptées et déchiffrés par les stations d’écoute occidentales, elles seraient interprétées comme des preuves de la responsabilité de Kadhafi, en cas d’attentat terroriste

« Shimon » (Peres ?) donne son feu vert à l’opération qui est déclenchée le 17 février. En pleine nuit, deux navires de guerre israéliens se dirigent vers l’ouest, en longeant au plus près la limite des eaux territoriales libyennes. Parvenus au niveau de Tripoli ils ralentissent et mettent à l’eau un commando de 12 hommes. Installés dans deux vedettes basses très rapides, ils cinglent vers la côte. Parvenus à deux miles, une partie du commando se met à l’eau dans de petits sous-marins, l’autre reste au large pour fixer le point de rendez-vous. Parvenus près du rivage, deux hommes restent pour garder les sous-marins, et les 4 autres débarquent l’émetteur qui est logé dans un cylindre de six pieds de long et 6 pouces de large. Ils se dirigent alors vers la route côtière toute proche et tombent sur un homme en train de réparer une roue crevée. C’est en fait un combattant du Mossad qui les attend. Quand il les aperçoit, il cesse son mime et leur ouvre les portes arrières de la camionnette. Aussitôt les hommes font route vers le centre de Tripoli. Pour que le signal de l’émetteur soit confondu, il faut qu’il soit situé au plus près des sources d’où sont ordinairement émis les messages gouvernementaux libyens. Pour ce faire, le combattant du Mossad a loué depuis quelques mois un appartement situé sur la rue de Al Jamhuriyh, à trois pâtés de maison des baraquements de Bab al Azizia qui hébergeaient le quartier général et le lieu de résidence de Kadhafi. La camionnette pénètre dans l’immeuble et les hommes du Mossad, changés en civils, montent au dernier étage le Troyen qu’ils ont pris soin d’enrober dans un tapis.

« Rapidement ils installent le dispositif, puis font le voyage aller en sens inverse. Au petit matin les 12 hommes du commando sont au large, sans avoir été repérés. Le combattant du Mossad demeure sur place pour surveiller le Troyen. Celui-ci est censé exploser violemment en cas d’intrusion. Quelques jours plus tard, le Troyen commence à émettre des messages « officiels » libyens tous plus inquiétants les uns que les autres concernant des projets d’actions terroristes. Tous ces messages sont volontairement chiffrés par le Mossad pour leur donner plus de crédibilité.

« Plusieurs de ces messages, envoyés dans les jours précédant et suivant l’attentat de la discothèque la Belle, qui survient deux mois plus tard, évoquent l’attentat. Ceux-ci sont interceptés par les Étasuniens, qui, comme l’espéraient les Israéliens, sont parvenus à en briser le chiffre. »

Victor Ostrovski fait le bilan de l’opération : «  L’opération Troyen fut l’un des succès les plus éclatants du Mossad. Il entraîna le bombardement aérien de la Libye, bombardement qui eut trois conséquences importantes : Un, il fit capoter l’accord sur la libération des otages étasuniens au Liban, conservant au Hezbollah son statut d’ennemi numéro un de l’Occident ; deux, ce fut un message envoyé à tout le monde arabe, les convaincant de la véritable position des États-Unis d’Amérique dans le conflit israélo-arabe ; trois, cela améliora brillamment l’image du Mossad en interne, puisque c’était eux, grâce à une opération ingénieuse, qui avaient poussé les USA à faire ce qu’il fallait faire »

Crédibilité du témoignage d’Ostrovski

La question de la crédibilité d’un tel témoignage se pose évidemment. En considération de la nature de la source, c’est à dire un ex agent du Mossad, ce n’est pas le genre de témoignage qui se croise aisément.

Nombre d’arguments penchent néanmoins en la faveur de la crédibilité de l’homme. D’abord, la réaction d’une extrême vigueur du gouvernement israélien. Lorsque l’agent du MI5 Peter Wright fit paraître un livre de révélations sur les agissements des services de renseignements de l’Angleterre, Spycatcher, le gouvernement britannique réagit vigoureusement, montrant ainsi indirectement que les informations dévoilées pas cet agent avaient du poids. Une publicité énorme fut donnée au livre qui devint un best seller dont aucune des révélations n’ont été démenties depuis. Le gouvernement israélien commit la même erreur. Plutôt que de l’ignorer, inquiet et piqué, il tenta tous les recours pour en empêcher la parution. Isser Harel et Meir Amit, deux anciens dirigeants du Mossad, donnèrent du crédit à Ostrovski en le présentant comme une menace pour la sécurité nationale.

l’historien Gordon Thomas

Gordon Thomas, auteur de l’Histoire Secrète du Mossad, rapporte ainsi l’histoire de la parution du livre d’Ostrovski : « (Ses deux livres) ont levé un important coin du voile sur le fonctionnement interne du Mossad. On y décrivait les méthodes opérationnelles du service et nommait de nombreux agents encore en activité ; il est possible qu’il ait compromis certains au fil de ses révélations vengeresses, persuadé qu’il était d’avoir été plus qu’injustement traité lors de son éviction du Mossad.  » (Thomas, histoire secrète du Mossad, p 281) Les réactions furent vives en Israël et dans les rangs du Mossad : « Ostrovski fut la cible d’une importante campagne de dénigrement dans le groupe Mirror, et aussi dans Maariv, le grand journal du soir de Tel Aviv racheté par Maxwell, où il fut abondamment traité de mythomane, de calomniateur et de faux ami d’Israël. Or, pour avoir épluché ces deux livres, les membres les plus haut placés des services secrets israéliens savaient que l’essentiel de ces informations étaient véridiques. » (Thomas, p 283)

l’essayiste Gilad Atzmon

Sur l’affaire Ostrovski on peut aussi citer Gilad Atzmon, dans La Parabole d’Esther, récemment paru aux éditions Demi Lune « Je considère comme crédible le témoignage d’Ostrovski. Comme nous le savons, le gouvernement israélien a recouru à tous les moyens possibles et imaginables pour empêcher la publication de ses livres. » A l’appui de cette assertion Atzmon rappelle cette réaction d’un éditorialiste israélien de renom, Joseph Lapid, qui devait devenir par la suite ministre de la justice du gouvernement d’Ariel Sharon : « Ostrovski est le Juif le plus félon de toute l’histoire juive moderne. Il n’a pas le droit à la vie, sauf s’il est prêt à rentrer en Israël et à y affronter la justice. (…) je dis les choses exactement comme je les pense. Malheureusement le Mossad ne peut pas s’en charger, parce que nous ne pouvons pas mettre nos relations avec le Canada en danger. Mais j’espère qu’il y a un Juif honnête, au Canada, qui le fera pour nous. (…) Cela ne serait que justice pour un homme qui a fait la chose la plus horrible à laquelle un Juif puisse penser, à savoir vendre l’État juif et le peuple juif à nos ennemis, pour de l’argent. Il n’y a rien de pire qu’un être humain puisse faire, si tant est qu’Ostrovski puisse être qualifié de la sorte. » Et Atzmon d’appuyer : « Un journaliste israélien, futur ministre de la Justice israélien, exprime ici les opinions les plus scandaleuses. Il encourage un coreligionnaire juif à perpétrer un assassinat au nom de la fraternité juive. En bref, non seulement Lapid confirme les révélations d’Ostrovski sur le monde invisible des sayyanim, mais il confirme l’opinion de Weizmann, selon qui, d’un point de vue sioniste, il n’existe pas de Canadiens juifs, mais uniquement des Juifs résidant au Canada. Toutefois Lapid affirme aussi qu’un juif vivant au Canada devrait se comporter en assassin, au service de ce qu’il considère comme la cause juive. »

La campagne de dénigrement médiatique dont fut l’objet Ostrovski au Canada et aux États-Unis à l’occasion de la parution de son livre est encore un autre indice de sa crédibilité. Si Ostrovski fut invité à de nombreuses émissions de radio ou de télévision (en raison du scandale et du succès de son livre), il était presque toujours confronté à un « intellectuel » visiblement très soucieux de la réputation d’Israël, qui lui était hostile, et qui souvent n’avait pas lu son livre. Le format court des émissions l’empêchait de développer suffisamment son propos. Ce traitement médiatique n’a rien exceptionnel aux Etats-Unis ou le lobby pro-israélien (voir le livre de Mearsheimer et Walt, qui en donne un compte-rendu édifiant), exerce une influence considérable sur toute une partie du volet proche et moyen-oriental de la politique étrangère étasunienne, veille au grain pour chasser toutes les sorcières qui se hasardent à critiquer la politique d’Israël.

Ici prend fin la seconde partie de l’étude de l’ODME sur l’attentat de La Belle. La semaine prochaine, nous évoquerons l’indemnisation par la Libye des victimes de la Belle en 2004, et nous essaierons de réévaluer les responsabilités des différents états évoqués dans la planification et la mise en œuvre de cet attentat.

 François Belliot, pour l’Observatoire Des Mensonges d’État

Notes

[1] John Goetz, dans le numéro de Covert Action de printemps 1996 était déjà arrivé à la conclusion, en étudiant des archives du KGB, qu’Abu Jaber était un informateur de la CIA et qu’il s’était entretenu avec son agent correspondant deux jours avant l’attentat pour y fixer le prix de l’opération à 30000 dollars.

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